Partie I
Au sortir de ma nuit, je me levai précipitamment sans prendre garde aux couvertures que je laissai choir à même le sol. Plus rien n'avait d'importance après la révélation muette qui m'avait été faite la veille. Je sautai dans mes pantoufles et descendis les escaliers en faisant plus de bruit que n'aurait pu le faire un troupeau d'éléphants menacés par un cataclysme et arrivai finalement essouflée devant la table de la cuisine. Le pot de pâte à tartiner n'avait pas bougé depuis la veille et, avec une faim vorace, j'arrachai le couvercle. Me dirigeant vers le tiroir de la commode, je restai un moment perplexe devant l'armada de cuillères de Maman. Mes yeux allaient des petites cuillères aux cuillères à soupes sans que je puisse décider quel choix était le meilleur. Pris d'un élan de lucidité, j'attrapai une cuillère à soupe et me dirigeai vers la pâte à tartiner avec une volonté que je croyais éteinte depuis des lustres. Je me laissai choir sur la chaise en bois grinçante la mieux conservée de la maison et enfonçai la cuillère dans le pot d'où je la ressortais remplie d'une pâte onctueuse qui contenait plus de kilos calories que je ne l'aurais imaginé. Mais qu'importe, aujourd'hui était un jour de deuil. L'homme que j'avais aimé quatre années durant - sans retour - m'avait annonçé de but en blanc qu'il avait trouvé une compagne et qu'il en était follement amoureux. J'éclatai soudain en sanglots, me rendant bien compte à quel point je pouvais être pathétique le visage plein de chocolat. Qui aimerait une femme au nez coulant capable de s'empifrer à 8 heures du matin ? Je jetai ma cuillère de colère et pleurai de plus belle. La pâte à tartiner avait perdu tout son aspect attrayant et je n'avais désormais qu'une seule envie : m'affaler devant la télé en regardant des niaiseries qui me ferait oublier que je ne suis pas cette fille écervelée qu'avait choisi celui qui m'était destiné. Je rejetai alors la faute sur le divin en personne. Après tout, c'était lui le responsable. Je pointai un doigt accusateur sur le plafond de ma cuisine et m'écriai d'une voix chancelante : "Tu devrais avoir honte, toi là haut ! Comment as-tu pu me faire une chose pareille ?" C'est à ce moment là que j'apperçus ma colocataire qui se tenait dans l'encadrure de la porte, les mains sur les hanches - position qui, chez elle, ne présageait rien de bon -. Outrée, j'ouvrai des yeux effarés et marmonait d'une voix mordante : "Quoi ???". Il me sembla un instant rêvé car son visage quitta une mine énervée pour afficher un sourire compatissant. Betty souriait ! Je n'en croyais pas mes yeux que je frottai à plusieurs reprises pour améliorer ma vue qui s'était brouillée sous les larmes. "Alors, il te l'a dit ?" demanda-t-elle d'une voix qui se voulait douce. Sans attendre de réponse, elle s'approcha de moi et passa ses bras autour de ma nuque brûlante. Je me laissai alors tomber dans ses bras et vidai mon corps de toute l'eau qu'il devait posséder.
Voilà la première partie d'une histoire écrite à l'instinct. Qu'en pensez-vous ?